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Plus
ou moins 400 concerts, 5 albums, des compiles, des clips, des
pochettes affreuses, des rencontres fortes, les 4 gars de la
campagne nantaise de Justin(e) avancent dans lindifférence
et la joie, dans une démarche amateur et DIY, sans objectifs.
Olivier: Guitare / Alexandre:
Chant / Fabien: Basse / François -Xavier: Batterie
Le punk-rock total de Treillières
city
Par François Begaudeau
Au milieu des années 90, un vent d’Amérique a soufflé sur
le punk rock français. Alors que les groupes locaux s’inspiraient
des fondateurs anglais ou du mouvement alternatif, on a vu
arriver des batteurs martelant des rythmes hardcores, des
guitaristes virtuoses abusant des redoublements à la NOFX,
des bassistes de 17 ans capables de lignes infernales à la
Rancid. Le punk se rechargeait en électricité. Un ravitaillement
en vol. Une seconde jeunesse, mais ce n’est pas à nous, qui
avions alors 25 ans – l’âge légal de la retraite pour les
punk-rockers — qu’elle allait profiter.
A l’époque les Justine en ont dix de moins. Ils ne sont pas
encore Justine, ignorent qu’ils le deviendront, n’osent même
pas l’espérer. Pour l’instant ils écoutent. Un artiste commence
récepteur. Un musicien commence auditeur. Il emmagasine, rumine,
cogite. Ca ressortira, d’une manière ou d’une autre. Ca viendra
quand ça viendra. Là, ça vient en 2006, sous la forme d’un
album, Du pareil au même, le premier des Justine. Dès la piste
1, Old boy, un des titres punk-rock les plus fulgurants jamais
produits par ici, c’est l’Amérique qu’on entend. Comme la
basse folle de Fab qui deux ans plus tard s’invitera dans
la danse du second album, Accident numéro 7, la guitare d’Olive
a chopé l’Amérique.
Mais pas seulement. Pas seulement, et tout le prix de Justine,
toute sa singularité est là. Cette guitare se souvient de
mille trucs. Avant de se brancher sur les accords d’Anti-Flag,
cette guitare a écouté de l’anglais et du français. A écouté
les matriciels Clash, les aussi méconnus qu’indépassables
PKRK, peut-être les Zab, et sans doute d’autres groupes de
la scène locale des décennies précédentes. Au moment de rugir
à son tour, elle s’en souvient.
Alex parolier et chanteur, se souvient aussi. Alex est très
peuplé. Peuplé de Catalans autonomes, de Communards « tués
jusqu’au dernier ». Peuplé par Tosquelles, Vaneigem, Rancière,
Deleuze, Guattari... Dans l’album qui nous arrive aujourd’hui,
et qui ne déçoit pas, ça donne ce refrain en forme d’article
1 d’un réaménagement libertaire de la vie collective : « La
politique n’est pas un métier / personne ne possède de titre
à gouverner / Les élections seront inessentielles / C’est
par tirage au sort qu’on fera les assemblées. »
En général les jeunes virtuoses émergés dans les années
90 n’envisagent même pas une seconde, même pas pour déconner
à un mariage, de chanter en français. Trop ringard, et pour
dire quoi ? Alex ce fut le contraire : jamais envisagé de
chanter en anglais. Ce qui le peuple ne se recrache pas en
globish.
Et puis c’est ici que ça se passe. C’est ici qu’on vit, pour
le meilleur et le pire. Pour le plus grave et pour le rire.
Dans On a des guests, planqué comme un chef d’œuvre en bonus
de D+/M-, Alex, Olive, Fab er Fikce ont convié leurs parents
respectifs à placer un texte de proximité sur des accords
qui fleurent bon l’anglo-saxon. Par exemple : « Salut c’est
Bernard, je suis le papa d’Alexandre, (…), c’est vrai qu’on
est fiers de nos fistons, mais ca fait sept ans qu’ils doivent
rembourser le camion ». C’est drôle et émouvant, c’est tendrement
moqueur, caustiquement aimant. Ca resitue le rock dans son
ambivalence fondatrice : pauvre et fastueux, plouc et aristo,
local et global, Fabinou et Fab, camion pas payé mais « on
s’en fout on a des guests ».
Déjà sur la pochette de l’album précédent, Treillières Uber
Alles, les quatre membres assumaient de poser en maillot de
foot de leur bled de Loire-Atlantique. Une sorte de blague,
mais pas seulement. Internationalistes invétérés, les Justine
n’ont jamais prétendu que Treillières soit autre chose qu’un
trou. Pour autant il ne s’agit pas de deuxième degré. Il s’agit
du cran juste avant. Le premier degré et demi, cran de l’art.
En l’occurrence : un repère intermédiaire entre la creuse
mythologie des racines et l’usine à gaz dandy-mondiale. Entre
deux sottises identitaires, entre la fierté d’être français
et la fierté d’être un anglais adoptif, il y a la tranquille
reconnaissance du lieu où j’évolue. Les Justine ont grandi
là, ils le notent. Où qu’on soit, on est quelque part. Nous
sommes américains mais français. Nous sommes de Pittsburgh
et Treillières. Nous ne jetons rien, nous prenons tout.
Les Justine ont pris tout le punk-rock depuis son aube -quarante
ans déjà. A ceux qui ne connaitraient pas cette musique et
voudraient l’explorer, on aurait le premier réflexe de dire :
commencez par le début, commencez par les Pistols, les Ramones,
pourquoi pas les Stogges, puis remontez lentement le fil du
temps. Mais en fait non. C’est par la fin qu’il faut commencer.
Par l’aboutissement. Par Justine, puisque tout y est.
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